LOS AVEYRONNAIS – DES PIONNIERS FRANÇAIS
Dans la pampa argentine, à 5ookm au Sud de Buenos Aires, ils ont fondé une communauté paysanne.
Vers les années 1850, l’Argentine a besoin de main d’œuvre pour exploiter les terres vierges et le pays accueille à bras ouvert les immigrants venus de toute l’Europe. En France, à cette époque et plus particulièrement dans la région aveyronnaise, la grave crise économique qui s’est installée fait souffrir durement les populations. N’ayant plus rien, beaucoup d’habitants décident de partir refaire leur vie ailleurs, sur des terres plus hospitalières. Fuyant l’aridité et la sécheresse de leur Rouergue natal, sans argent, mais animés d’un espoir indéfectible, ces pionniers vont tenter et réussir une véritable aventure de l’autre côté de l’atlantique. Ils s’installent dans une région perdue à plus de 500 kms au Sud de Buenos Aires et fondent le village de Pigüe.
Le Figaro Magazine nous avait envoyé, le journaliste Pierre Laforêt et moi-même, à la rencontre des descendants de ces pionniers venus du Rouergue. Première surprise, le contact sur place qui nous accueille à l’entrée du village s’adresse à nous dans un parfait français, mais avec un fort accent des fins fonds de l’Aveyron, roulant les R avec une profonde conviction. L’explication de ce phénom!ne tient tout simplement au fait que la langue s’est transmise au fil des génération avec la musique de l’accent dont elle n’a jamais perdue l’empreinte.
Agriculteurs et éleveurs, les nouveaux arrivants apprendront tout des populations locales et surtout comment utiliser les chevaux CRIOLLO, une race qui s’est faite toute seule, avec le croisement de chevaux de sang arabe amenés par les espagnols au XVIe siècle et des chevaux sauvages.
Une race locale : Le « criollo »
Le cheval est comme une fleur dans un jardin. Utilisé pour rassembler les bêtes, les conduire au couloir de soins, attraper les jeunes veaux pour les châtrer, ou lors du marquage, il est l’outil indispensable de la pampa. Infatigable, très fidèle a son gaucho (ouvrier d’élevage), il forme un couple parfait avec son cavalier et fait partie du paysage Argentin.
La sélection naturelle de bêtes vivant en totale liberté dans la pampa, va donner un subtil cocktail : un cheval de petite taille, pas très lourd (450 Kg en moyenne) et une robe de couleur variable. L’animal est doux, obéissant et sa rusticité bien adaptée aux longues distances des plaines argentines, remplace avantageusement un véhicule tout terrain hors de prix. Une jument bien dressée, de 4 ou 5 ans, ne coûte guère plus de 700 US$ (600 euros environ). Actuellement, il y a au moins deux ou trois chevaux par ferme dans la région, sur les 700 exploitations de 400 hectares de superficie, on en compte pas moins de 3000.
Chaque matin, le gaucho sillonne son territoire. Des parcelles de plus de 100 hectares qu’il est chargé de surveiller. L’alimentation des sources, le bon fonctionnement des éoliennes, le remplissage des abreuvoirs et l’état des clôtures, font partie du lot quotidien du gaucho. L’hacienda est trop éloignée pour qu’il puisse prévenir le patron ou le régisseur, lorsqu’il trouve une bête malade au moment des vêlages, il lui faut donc se débrouiller et résoudre les problèmes tout seul. L’après-midi, une activité identique recommence, mais avec un cheval frais, car une seule monture ne permettrait pas de parcourir ces distances aussi gigantesques. De jour comme de nuit, le gaucho reste un être isolé. Le cheval et le chien sont ses seuls compagnons.
Des cavaliers émérites
En Argentine, la conduite du cheval est très différente de la France. Le cavalier saisit les rennes, ensembles dans une seule main et dans l’autre, il tient le fouet (rebenque, ou guacha). La selle, recouverte d’une peau d’agneau épaisse, est un véritable fauteuil. Il faut s’imaginer que le gaucho passe au moins 6 a 8 heures par jour sur son cheval et il peut lui arriver de dormir à la belle étoile au moment des déplacements du troupeau. Il enlève alors sa selle, la pose au sol à plat et déroule la peau d’agneau très laineuse pour la transformer en un lit douillet extrêmement confortable.
Ces pionniers avaient une réputation d’hommes rustiques, peu embarrassés de sensiblerie. C’est en partie vrai, au regard de certaines pratiques barbares auxquelles s’adonnaient les gauchos. Au XVIIIe siècle, le « Pato » (canard), sport national argentin, se jouait avec un canard placé au milieu du terrain et les gauchos à cheval devaient le prendre par le cou pour le lancer dans le panier adverse. Mais ce jeu cruel ne se pratique plus aujourd’hui avec un canard. Il a été remplacé par une sorte de ballon de football à 6 poignées que les cavaliers se passent entre eux pour tenter de le jeter dans le panier de l’autre équipe. Un sport subtil et dangereux, qui ne s’adresse qu’à d’excellents cavaliers, comme dans la doma, l’autre jeu de prédilection des gauchos, où les bras cassés et les fractures ne se comptent plus.
Il remonte à l’époque où les Indiens étaient passés maîtres dans le dressage des chevaux pour les besoins des guerres ou pour se déplacer. Ils savaient reconnaître les bêtes dociles et aptes à la monte, de celles qui resteraient toujours indomptables (les reservados). Ces « broncos » réservés aux « domas », étaient utilisés dans les rodéos locaux et voyaient s’affronter les meilleurs cavaliers de la tribu.
Aujourd’hui, les habitants de Pigüe perpétuent la tradition. Au moment d’une courte période du printemps et pendant tout l’été, les meilleurs cavaliers des environs se défient dans des joutes violentes, mais pacifiques. Les plus importantes domas, avec qualification au niveau national et international, se déroulent en fin de saison, au Brésil, en Uruguay ou au Chili, où l’on consacre le meilleur cavalier d’Amérique du Sud.
Ces gauchos qui roulent les « R »
Litre, Vigouroux, ou Issaly, plusieurs jeunes de Pigüe, arrière petits-enfants de français, participent à ces compétitions. Leurs parents et grands-parents sont souvent chargés de l’entraînement et de l’organisation du spectacle. Un spectacle qui commence toujours le matin de bonne heure, par l’appel au micro des cavaliers inscrits et par la présentation des montures. Pour la plupart, très connus dans la région, ces chevaux sont l’enjeu d’un tirage au sort. Les spectateurs supputent sur les chances des uns et des autres et des lois du hasard qui attribuent parfois un superbe reservado à un piètre cavalier et vice-versa. Les arbitres assistants mettent en place la selle de l’équipage numéroté, mais c’est au cavalier qu’incombe le droit d’ajuster les étriers.
Lorsque la sonnerie retentit, le cavalier et sa monture sont libérés. L’homme devra tenir 12 secondes sans selle sur un cheval fou, avec les rennes dans une seule main, l’autre tenant la rebenque. Le tribunal, constitué d’anciens cavaliers, note scrupuleusement les résultats. En fin de journée, les trois meilleurs cavaliers participeront à la finale. Une finale très attendue par le public, car les gains font rêver. 1000 US$ pour le premier (environ 900 euros), 500 pour le second et 200 pour le troisième. Tous les autres auront un lot de consolation : le remboursement du ticket d’entrée.
La nostalgie est toujours présente
Ces descendants de français ne roulent pas sur l’or, ils n’ont jamais vraiment fait fortune sur ces terres difficiles. Jusqu’en 1930, le blé se vendait bien et certains pionniers avaient gagné pas mal d’argent, mais la situation du pays s’est ensuite dégradée. Avec les révolutions militaires et leurs cortèges de présidents quasiment identiques, le pays ne peut plus suivre et les piguense (c’est ainsi qu’on appelle les descendants de français) vont y laisser des plumes.
Quelques familles avaient constitué suffisamment de richesses pour tenir face à la grande crise économique, pour preuve, il suffit d’observer la richesses des chapelles mortuaires des cimetières argentins. A ce sujet, j’ai découvert une curieuse tradition qui perdure dans ce pays si loin de la vieille Europe ; les familles nanties n’enterrent pas les morts et les cercueils sont exposés sur des rangés tout autour et à l’intérieur des chapelles. Les corps se décomposent ainsi, sans que cela n’ait l’air de beaucoup déranger les visiteurs…
À présent, la situation politique s’est améliorée, mais l’inflation continue et le moral des habitants de ce coin perdu au cul du monde ne refait pas vraiment surface. Leur rêve ? Retourner un jour au pays, cet Aveyron si lointain, à l’autre bout de l’Océan.
Reportage Christian VOULGAROPOULOS