AVENTURIER AU BRESIL

Mon aventure débute à Sao-Paulo, où je fais la connaissance de notre homme. Venu fêter le carnaval au Brésil il y a plus de 20 ans, ce français originaire de Meaux n’en est jamais reparti. Aujourd’hui, marié à la fille d’un riche propriétaire terrien de Ribeirao Preto, il vit à Sao-Paulo.

Notre rendez-vous a été fixé dans un troquet du Centre-ville. A peine installé, je le repère facilement. Un grand blond (sans chaussure noire) avec une tête qui dépasse toutes celles des autres clients. Il me repère et se dirige vers ma table en quelques enjambées.
Nous n’échangeons que quelques mots, mais cela doit lui suffire pour m’évaluer, car il me propose spontanément de visiter sa nouvelle acquisition, une ferme dans le Mato Grosso du Nord. Départ, trois heures demain matin ! OK ?
Pas la peine de discuter. Dans ce pays de pionniers les décisions se prennent à la seconde.
Après une courte nuit de sommeil, nous voici sur la route du Mato-Grosso. Christian m’annonce qu’il va falloir se farcir près de 2000kms : on n’est pas encore arrivés !
Premier étape, à une centaine de km de Sao-Paulo, dans la ferme familiale de Ribeirao Preto où nous passons une première nuit. Un rapide café au petit matin et nous reprenons la route jusqu’à Goiania. Nouvelle nuit d’étape, cette fois dans un hôtel routier, puis départ pour Barra do Garça.
Ce sera notre ultime arrêt avant la bifurcation pour Xavantinas. Il ne faut pas croire que les derniers kilomètres vont être une partie de plaisir. Il nous reste à parcourir 300 kms d’une piste en latérite, défoncée par les roues de camions. Elle et souvent impraticable car les ponts sont fréquemment emportés au moment des crues engendrées par les averses qui s’abattent sur la région à la saison des pluies.

Les dernières transhumances.

Nous sommes à une cinquantaine de kilomètres d’Agua Boa, lorsqu’un nuage de poussière se profile à l’horizon. D’après mon guide, nous allons croiser dans peu de temps une boyada (troupeau en mouvement) et ses vaqueros (cow-boys brésiliens). Effectivement, quelques instants plus tard nous distinguons les robes beige clair des vaches et la silhouette de quelques cavaliers qui les accompagnent.
En tête du troupeau, croulant sous un matériel hétéroclite d’ustensiles de cuisine éculés recouverts d’immenses rouleaux de grillage, le cuisinier avance sur sa charrette. Son équipage traîné par une mule doit arriver avant le reste de la troupe, car il faut préparer le repas et le parcage des bêtes. Chaque soir, ce rituel immuable se répète. Les boyadas peuvent parcourir de grandes distances dans ce pays gigantesque. car les éleveurs ne trouvent pas forcément à la porte du ranch l’acheteur potentiel. Ils sont donc obligés de livrer les bêtes vendues à plusieurs milliers de kilomètres de leur propriété. Les chiffres parlent d’eux-même ; certaines boyadas sont constituées de plus de mille têtes de bétail et plusieurs dizaines de vaqueros sont nécessaires pour accompagner le troupeau. A raison de 25 km quotidien, il leur faut parfois trois mois pour parcourir plus de 2 500 km.
La région n’est pas toujours très hospitalières. Les terres arides brûlées par le soleil, sont parsemées de marécages infestés par les caïmans et les piranhas, sans oublier l’omniprésence des Xavantes, des indiens peu amènes envers l’étranger de passage, prêts à en découdre pour un oui ou pour un non.
Aux dires de mon mentor, ce n’est pas la plus gigantesque des boyadas qui se croisent dans la région, car elle ne comporte que 600 à 700 têtes de bétail. Pourtant le spectacle est déjà là. Les hommes semblent tout droit sortis d’un film de Sergio Leone. Coiffés de leurs chapeu de coco (chapeau en forme de noix coco typique du Nordest), leurs visages sont couverts d’une barbes de plusieurs semaines et en prime, ils nous offrent des sourires quelque peu édentés certes, mais fort chaleureux. Leurs seules richesses se résument à des boucles de ceinturon et des bracelets d’argent finement ouvragés qu’ils arborent avec fierté.
Ames sensibles, passez votre chemin ; les éperons qui garnissent leurs chaussures sont d’une taille si impressionnante, que l’on a envie d’en toucher deux mots à la S.P.A. Mieux vaut ne pas imaginer les dégâts qu’ils occasionnent aux chevaux. En ce qui concerne leurs montures justement, je suis étonné qu’ils ne chevauchent pas des quarter horse ou des indio-nordestines, mais de simples mules. Pourquoi ce choix ? Simplement parce que ce sont des bêtes rustiques qui peuvent parcourir des distances importantes sous des températures extrêmes.
Pour rassembler le troupeau, les hommes soufflent dans d’immenses trompes tarabiscotées taillées dans la corne du zébu. Chaque vaquéro fabrique son propre instrument. Le son, semblable au meuglement des vaches, est d’une grande efficacité. Les bêtes se réunissent instantanément à l’appel du cavalier.
Lorsque le troupeau doit traverser à gué un cours d’eau infesté de piranhas, les hommes n’hésitent pas à prélever une bête malade pour la sacrifier. Le reste du troupeau peut ainsi traverser l’obstacle sans encombres, car si ils ne prenaient pas cette précaution, les piranhas, très friands de la tendre chair des mamelles, occasionneraient de très graves blessures entrainant la mort à court terme.
Pourtant, lorsqu’une vache est souffrante, les vaqueros ne la sacrifient pas systématiquement, ils savent qu’ils peuvent la laisser dans une ferme locale. La bête sera soignée et nourrie jusqu’à leur prochain passage et ils pourront la récupérer sans problème. Solidarité de pionniers oblige !
Ces boyadas seront sans doute un jour remplacées par les gayolas (bétaillères) et ce jour-là, les amoureux d’étendues sauvages et authentiques, perdront au change à coup sur.

Haute technologie française

Arrivés enfin à la fazenda de Christian, je vois que le gros œuvre de la maison n’est pas terminé. Il s’est lancé dans l’aventure depuis deux ans, mais ce n’est que maintenant qu’il envisage de construire son lieu de vie. Pour l’anecdote, le jour où il a fait appel à un sourcier professionnel ; voyant que le gars était un peu perdu (alors que Christian sait que les sols sont gorgés d’eau à peu de profondeur), il prend une pièce de monnaie, la lance en l’air et, à l’endroit où elle retombe, il dit «Ca, vois-tu, c’est de la Haute Technologie Française. Ici, il y a de l’eau, on creuse !» Effectivement, après quelques coups de pioche, l’eau jaillissait en grande quantité sous le regard ébahi du sourcier. La propriété de 2 500 hectares est située en plein mato, à une dizaine de kilomètres du village d’Agua Boa. En France, cette propriété agricole apparaît gigantesque, pourtant, ici ce genre de surface est monnaie courante. On parle de démesure plutôt pour les propriétés des multinationales comme Nestlé ou Volkswagen. Elles s’étalent sur plus de 45 000 hectares, avec de l’élevage intensif de zébu (une race bovine très rustique) et des cultures de soja à perte de vue.
Christian lui, a choisi de ne se consacrer qu’au soja et au riz de pluie, mais pour traiter des surfaces aussi vastes au moment des moissons, il doit s’y prendre comme tous les agriculteurs du coin, en mettant en œuvre des moyens considérables. Sur ces distances, les moissonneuses-batteuses partent plusieurs jours loin de la ferme ; les ouvriers agricoles doivent établir un campement sur place et disposer d’un véhicule atelier pour réaliser les réparations ou la vidange des moteurs.
L’environnement reste sauvage dans la région et parmi les animaux de taille peu communes, on trouve le pirarucu (poisson rouge en tupi guarani). La chair délicate de cette espèce, proche du brochet, est très appréciée. Certaines captures peuvent atteindre jusqu’à trois mètres, pour un poids de 250 à 300 kg.
Lors de mon passage, les ouvriers de Christian venaient de tuer un sucuri (anaconda en tupi-guarani)et ils nous ont présenté fièrement sa dépouille criblée de balles. Ce serpent d’eau a de bien curieuses méthodes pour capturer ses proies. Soit, il saisit brusquement sa victime dans la gueule (il n’a pas de venin mais ses dents pointues font office de harpon pour diriger la proie vers son œsophage) ou bien et c’est plus souvent le cas , il lève son énorme tête et se jette violemment sur sa future victime pour l’assommer. Lorsque la proie inanimée git sur le sol, il ne lui reste plus qu’à l’enrouler dans ses anneaux et serrer son emprise. Le corps se disloque sous la pression des puissants muscles de l’animal. Les os se brisant en de minuscules esquilles tranchantes qui terminent la besogne de l’intérieur. Le sucuri peut mettre plusieurs jours à digérer son repas, selon la taille et la grosseur de ses proies (il peut s’attaquer à des animaux plus de 20 kg). Une légende traine dans le coin pour affirmer que quelqu’un a trouvé le corps d’un indien adulte dans le corps d’un anaconda mort… Mais je n’ai pas eu de preuves en images !

Coqs de combat et cocaïne

Nelson Souza est un voisin de Christian pour le moins original. Riche fermier, il est à la tête d’une immense exploitation spécialisée dans l’élevage de zébus. Pour parcourir ses terres il possède un petit avion avec un pilote « full-time » à ses côtés. Ce jeune homme de 29 ans en paraît 20 de plus. Il faut dire, qu’Il y a encore un mois il ingurgitait deux bouteilles de « Chivas Regal » par jour. Alerté par son médecin, il s’est calmé… Il n’en boit plus qu’une, quotidiennement !
En dehors de son penchant pour les boissons hautement alcoolisées, Nelson est habité par une passion envahissante : les coqs de combat. Il est tellement attaché à ses champions qu’il leur a fabriqué des protèges ergots en or massif.
Fréquemment, il embarque ses valeureux combattants dans son avion et « pousse » jusqu’à Santa Cruz de la Sierra, une petite cité connue pour ses dangereux patrons des cartels de la drogue. Dans l’arêne, les coqs s’affrontent dans des combats mortels. Lorsque le champion d’un « commerçant » local est vaincu, l’homme récupère un peu de réconfort en « sniffant » la poudre de cocaïne qu’il a apportée dans une boite d’allumettes.

Traité de paix avec les indiens

Les fermiers d’Agua Boa nous montrent la photo qu’ils ont prise la semaine dernière à la préfecture de Xavantina. Elle représente un groupe d’indiens et de fermiers blancs venant de conclure le « énième » traité de paix avec les Xavantes.
Toujours le même refrain ; les indiens pénètrent dans une propriété, tuent une vache et ne prélèvent qu’un morceau de viande, puis ils abandonnent l’animal en l’état. Une autre fois, c’est pour avoir mis le feu à des broussailles. L’incendie se propageant à la vitesse grand V sur des moissons brûlées par le soleil. La récolte est définitivement perdue.
Il est vrai qu’a leur décharge, les indiens ont toujours chassé de la même manière. Ils n’avaient pas de frontières et pourtant les feux ne se propageaient guère plus loin que le lieu de chasse. Aujourd’hui, cet environnement varié n’est plus de mise et la monoculture n’arrête plus les flammes. Moralité, il faut se revoir de nouveau à la table des négociations.

Les chercheurs d’or

Pas loin de Xavantinas, Christian me propose de faire un détour par un garimpo (mine). La visite d’un village de chercheurs d’or tient plus de l’épopée que d’une promenade touristique ; surtout si on a l ‘apparence de « gringos ». Pour quelques dizaines de dollars de plus, ces gentils aventuriers seraient capables de se changer en brutes sanguinaires et feraient simplement disparaître l’imprudent ; donc, vigilance!
Plusieurs garimpos ont vu le jour depuis quelques années dans les zones sauvages du Brésil. On les trouve principalement en bordure de l’Amazonie, mais également disséminés dans les contrées perdues, éloignées de toute civilisation.
Dans cet univers de jungle déboisée, un décor de western surgit au détour de la route. Des baraquements succincts, recouverts de toits de paille, entourent la plaie béante de la mine. Ici, les lieux d’extraction ne sont pas au fond de galeries transversales, mais à ciel ouvert.
Pratique et simple au départ, la technique devient plus complexe au fur et à mesure de l’exploitation du site. Avec un inconvénient majeur : plus les travaux de recherches avancent, plus la cavité s’agrandit. A un moment, la tache devenant trop épuisante et compliquée, le filon est abandonné.
Le ronronnement des motopompes et le martellement incessant des masses sur la roche aurifère nous indiquent que nous sommes arrivés. Sur une butte, au milieu des cases d’habitations, une dizaine d’hommes s’acharnent à briser de gros morceaux de roches pour les faire passer dans le moulin. Avec des engins plus puissants mais plus onéreux, les « garimpeiros » (chercheurs d’or ou de pierre précieuses) pourraient se passer de ce travail de forçats, mais ils sont trop pauvres et trop démunis pour se payer la moindre machine.

Un travail de forçats

Les bras et le dos ruissèlent sous la transpiration ; coiffés de chapeaux de pailles éculés pour tenter de se préserver des rayons d’un soleil écrasant, ils ne font même plus attention aux éclats dorés de la roche ; ils savent qu’ils récupèreront plus tard ces particules rares. Le mélange d’or et de roche, une fois réduit en poudre, est lavé sous une cascade sommaire faite de tôles et de planches en bois. A la fin du parcours, les malins orpailleurs installent un vulgaire morceau de moquette pour piéger le précieux métal.
Dur le travail ? Le mot est faible pour désigner ce labeur de titans. Les hommes bossent douze à quinze heures par jour, dans une mine à ciel ouvert et sous un soleil de plomb. Et tout ça, pour extraire un maigre butin leur suffisant à peine pour survivre dans ce véritable enfer.

Un rêve qui se change en cauchemar pour certains

A 10 euros le gramme payé par l’acheteur, les gains sont à peine plus élevés que le SMIG français. Le chercheur d’or chanceux, qui réussirait à récolter 1 kg d’or dans son année, ne pourrait espérer en tirer guère plus de 10 000 euros. Toute cette somme sera rapidement engloutie avec les dépenses de la vie de tous les jours, car dans les villages de chercheurs d’or tout est horriblement cher. Que ce soit les câlins payés à prix d’or aux prostituées, omniprésentes dans les bars, ou les litres de bière et de cachaça (rhum blanc de bagasse) engloutis quotidiennement.
Résultat ? Le plus riche de tous ; c’est l’épicier. Il réalise une véritable fortune avec la vente d’une multitude de choses plus ou moins indispensables qu’il fait payer « rubis sur l’ongle » aux garimpeiros ; ici le crédit ? Connait pas !
Le commerçant n’accepte pas les billets de banque.Pour régler leurs achats, les hommes versent la poudre d’or dans le plateau de la balance en échange de denrées aussi banales que les œufs ou le riz. Le gouvernement brésilien annonçait 56 tonnes d’or de production en 1986, presque trente ans après, les chiffres ont baissé de moitié ; le pays n’extrait plus que 26 tonnes, mais la totalité de la production est assurée par les chercheurs d’or individuels ou de petites entreprises indépendantes ; les grosses compagnies ne raflant que 5% du potentiel aurifère du Brésil.

Une région très dangereuse

Dans un « garimpo », la police n’existe pas. Ici, c’est la loi du plus fort. Si un homme est surpris en train de dérober de l’or à un de ses collègues, un procès sommaire sera improvisé, avec une sentence immédiate : crâne rasé à moitié, le coupable est lâché en pleine jungle, à plusieurs jours de marche du campement ; Peu en réchappent.
Le gouvernement brésilien essaye d’aider les pauvres paysans que l’on surnomme ici les poseiros (ou sans Terres). Lorsqu’ils arrivent à planter, ne serait-ce que quelques graines sur un lopin de terre, ils sont considérés propriétaires au regard de la Loi. Pour se protéger du risque d’invasion de poseiros, les fazenderos (riches propriétaires terriens) n’hésitent pas à détruire le moindre barraquement qui tente de s’élever sur leur propriété;
Dans le cas d’un meurtre, le suspect est remis aux autorités pour qu’il soit jugé légalement, mais on constate chaque année un grand nombre de disparitions inexpliquées. Il est vrai que dans cette région coupée du reste du monde, tout le monde se ballade, un « six coups » au côté, Serait-ce plus rassurant, ou plus dissuasif ?

Reportage Christian VOULGAROPOULOS