LA FÊTE DES DUK-DUK

Pour avoir rendu service à un jeune papou pris en auto-stop, j’ai eu l’immense privilège d’être convié à son initiation au cours de la fête duk-duk .Dans la tribu des Tolaï, ce curieux rituel se perpétue depuis la nuit des temps en Nouvelle-Bretagne, une île immense, située en Nouvelle Guinée Papouasie.

Le bigman, les lèvres rougies par le bétel, officie à l’intérieur du “secret”. Ce labyrinthe mystérieux et plein de magie se trouve à dans un carré isolé du reste du village par des murs de paille tressée. Ancienne fête cannibale, le duk-duk étonne par ses curieux costumes et sa cérémonie complexe. Avant l’arrivée des Européens, c’était l’occasion de faire ripaille avec la chair des vaincus et en temps de paix, ces Papous anthropophages remplaçaient leurs ennemis par les jeunes filles pubères de la tribu qui faisaient alors les frais du festin.
Les missionnaires abolirent rapidement ces rites barbares et ne permirent plus que la cérémonie d’échange de Kinas entre les initiés et les duk-duk. Les superbes coquillages plats en forme de quartier de lune, que l’on ne trouve malheureusement plus beaucoup sur les plages papoues, ont été remplacés par des pièces de monnaie locale du même nom.

Le temple secret des Duk-duk

Depuis des millénaires, la Nouvelle Guinée Papouasie a été une terre de refuge pour une grande variété de population primitive. 700 dialectes y sont parlés et l’on y pratique autant de rituels différents. Le duk-duk ne s’observe que chez les tolaïs, une importante tribu de la péninsule Gazelle qui s’est installée dans cette île de l’archipel Bismarck depuis plusieurs centaines d’années. Les tolaïs ont su préserver leur religion malgré l’évolution des mœurs apportées par les australiens. Habituellement le visiteur étranger n’est pas autorisé dans les cérémonies, mais si le courant passe, il peut avoir la chance de bénéficier d’une exception et entrer dans le secret. Par peur d’avoir une attitude profane il vaut mieux se faire tout petit car, ne connaissant pas les coutumes de la tribu, les risques d’impairs sont importants.
Dans l’entrée en forme de labyrinthe, le bigman préside l’assemblée. Tout prés de lui, quatre dukduk. Ils représentent les esprits maléfiques se cachant derrière leurs immenses masques en pointe. Le bas du corps est recouvert d’une grande jupe en feuilles de bananier.
L’initié entre sous les cris d’encouragement d’une foule de jeunes gens venus le soutenir dans l’épreuve. Il doit offrir des Kinas aux duk-duk pour accéder à la sagesse et calmer leurs cris épouvantables. Après l’exécution de cette formalité, leur colère sera apaisée. Cette initiation est très difficile à appréhender pour des esprits cartésiens occidentaux. Les seuls faits que l’on puisse retenir sont les simulacres d’agressivité des dukduk destinés à pousser l’initié à s’acquitter des kinas. Quand l’ensemble des jeunes gens est passé dans l’enceinte du secret, les dukduk sortent et entament une danse violente rythmée au son des tam-tams. Les vieux sages entourent le bigman et l’assistent dans l’ultime cérémonie qui consiste à flageller de bon cœur les dukduks à l’aide des colliers de Kinas offerts. La scène se passe devant l’entrée du village, sous l’encouragement de toute une population de papous hilares. La symbolique de l’exorcisme paraît destinée à se protéger des esprits maléfiques représentés par les duk-duks. Bien avant le début de la cérémonie, les hommes ont préparé un repas gigantesque qui doit mettre un point d’orgue à la fête. Des cochons entiers, posés sur leur lit de feuilles de bananier, ont cuit pendant des heures à la chaleur étouffée d’un feu de braises enterré à même le sol.

Un sens du partage

Une cohorte de femmes et d’enfants attend le partage. Ils sont assis autour d’une tombe colorée érigée en plein centre du village ; la sépulture du précédent bigman décédé il y a six mois. Pour fêter ce grand sage, on lui a dédié la cérémonie duk-duk et les invités déposent une multitude de présents sur sa dernière demeure. Deux ou trois cents personnes des alentours, venues se joindre aux gens du village, patientent devant les monticules de nourriture. On surveille avec délices la découpe des morceaux qui remplacent avantageusement la chair humaine consommée dans le passé par les ancêtres. Les parts de viande se font en fonction de l’importance numérique des familles. Plus il y a d’enfants et plus la portion sera importante. Souhaitons que ces rites, venus des fonds des temps, durent encore des siècles pour montrer aux sociétés modernes que la vie communautaire a encore du bon.

Reportage Christian VOULGAROPOULOS